Une visite surprise

Elle était toujours de dos lorsque Lydia Callaway lui parla pour la première fois. Et c'est suite à un long silence qu'elle termina par se retourner pour lui faire face. Elle fermait les yeux. Elle attendit et finalement, elle reprit contrôle d'elle-même et se dirigea vers le siège devant le bureau. Joli bureau, d'alleurs! Acceuillant. Sympathique. Tout pour plaire.

Elle s'était donc assise dans un des fauteuils et fixait Lydia. C'est à ce moment qu'elle décida de lui dire : "Je t'écoute, ma belle" mais Jaya n'avait rien de précis à l'esprit. Elle n'avait rien de préparer rien à dire vraiment. Elle ne savait pas comment démarrer la conversation. Quand elle remarqua le calepin qu'elle tenait en mains, elle se sentie comme si elle était jugée ou noté sur ce qu'elle allait dire. Elle détestait cette impression. Elle ne voulait pas être jugée parce qu'elle savait que ce qu'elle dirait serait probablement ridicule. Elle se sentait faible d'avoir cédée devant cet imbécile de Julian. Et se faire juger sur ce point la rendait malade!

"Vous êtes obligée de prendre des notes?"

Elle avait repliée ses jambes sous elle. De sorte qu'elle était nettement plus confortable. C'était bon signe aussi. Ça donnait l'impression qu'elle s'était installée pour rester.

Son regard était fuyant, elle fixait la psychologue et l'instant d'après elle regardait par la fenêtre. Elle tournait sans cesse la tête dans tous les sens, comme si elle s'était sentie piégée. C'était d'ailleurs son sentiment. Elle se sentait piégée. Piégée ici, piégée dans sa famille d'accueil, mais elle ne savait pas comment extérioriser ce sentiment. Elle aurait eue envie de hurler pour faire ressortir toute la colère qu'elle contenait... Mais elle était dans le bureau de la psy...

Jaya esquissa un sourire lorsque Mme Callaway rangea son calepin. Bizarrement, elle se sentait plus en confiance. Elle se frotta les bras et se passa une main dans les cheveux avant de croiser ses bras sur sa poitrine. Parler de tout ça était vraiment difficile pour elle. Et elle ne savait pas par où commencer. Elle réfléchissait. Elle prenait son temps. Elle voulait tout déballer, et en même temps, elle ne pouvait pas dénoncer Julian. Elle le détestait, elle voulait le balancer et elle voulait qu'il paye pour ce qui lui avait fait. Mais elle avait peur de lui. Elle savait qu'il avait beaucoup de pouvoir dans son coin et qu'elle n'était pas assez forte pour le combattre quel que soit son attaque. Psychologique ou physique.

"C'est pas ma faute."

Elle parlait par courte phrase, pour ne pas en dire trop et pour mieux réfléchir à ce qu'elle donnerait comme information.

"J'avais aucune envie de faire ça..."

Elle appuya son coude sur le rebord du siège et laissa tomber sa joue dans le creux de sa main.

"J'en avais rien à foutre de ce mec-là..."

Puis, elle crut qu'elle avait trop parlé. Elle s'arrêta. Et releva son regard, qu'elle avait laissé au plancher jusque-là, vers Lydia. Elle se retenait pour ne pas pleurer... Elle avait une difficulté extrêmement à se retenir d'ailleurs. Son regard devint aussi dur que de la pierre. Et ses bras revinrent se croiser sur sa poitrine.

« Non, je vous parle du vieux chez qui je suis allée piquer des trucs! »

Elle c’était dépêchée de rectifier cette erreur, pour la simple et bonne raison qu’elle ne voulait pas qu’elle sache pour Julian, mais surtout parce qu’elle croyait avoir trop parlé, trop… ou pas assez?

Elle se leva, lui souria difficilement et se retournant en parlant.

« Je… Je vais partir… J’ai beaucoup de choses à faire. »

Elle essuya une larme en avançant lentement vers la porte, espérant que Lydia Callaway la retienne et l’oblige à lui parler. Mais aussi en se disant qu’elle était mieux de garder tout cette histoire pour elle! Elle se trouva même ridicule d’être venue là. Elle s’arrêta, lorsqu’elle avait parlé, sa voix avait tremblé, des larmes lui montèrent aux yeux.

*Ne pas pleurer, surtout ne pas pleurer!*

Tout en espérant que Mme Callaway n’avait pas remarqué ses yeux de plus en plus rouges, elle se remit en marche. Elle se dirigea vers la porte, d’un pas plus ou moins décidé.

-"Tu es certaine de vouloir partir Jaya ? " demanda Lydia de sa voix la plus douce. " J'avais pourtant l'impression que tu étais sur la bonne voie. Ce n'est pas toujours facile, j'en conviens. Mais souviens-toi que tout ce que tu me diras est confidentiel. Je garderai le silence absolu si c'est ce que tu désires. Et quelque chose me dit que ça l'est."

Les larmes pendouillaient aux paupières de l'adolescente qui tentait courageusement de les retenir. Son regard était tellement touchant.
Elle avait l'air complètement perdue et déboussolée. Si ce n'avait pas été de son statut professionel, Lydia aurait probablement contourné son bureau pour la bercer dans ses bras.

-"Dis-moi Jaya. Qui t'as poussé à faire ça? Je sais que tu n'as pas voulu. Je suis convaincue que ce n'est pas de ton propre gré que tu as posé les gestes qui t'ont ramenée jusqu'à nous. Raconte-moi et je pourrai t'aider. "

La psychologue avait dit ça d'un ton presque maternel. Il fallait que Jaya Korwinn se sente en confiance totale avec elle afin qu'elle n'ait plus peur de lui confier ses secrets. Attendant que sa patiente prenne sa décision, Lydia appuya ses coudes sur le bureau et déposa son menton dans ses mains, baignant l'adolescente de son regard vert émeraude.

« Totalement confidentiel? »

Elle était toujours dos à la psychologue, les larmes étaient toujours aussi près de ses paupières et elle avait envie de redevenir une enfant de 4 ans, alors que tout était si simple. À 4 ans, elle avait encore des parents, à 4 ans, elle avait encore un « vrai » chez-soi. À 4 ans, on avait pas de dilemme comme elle en a aujourd’hui… déchiré entre la tentation de se laisser aller à pleurer à chaude larme et continuer de se cacher derrière se faux masque qui la rendait méchante et rebelle.

*À 4 ans, Korwinn, on est pas dans un pensionnat pour délinquant… et c’est pas en s’apitoyant sur ton sort que tu vas en sortir!*

Elle rammena ses mains près de son visage et retira d’un revers de main, toute les larmes qui auraient pu s’y trouver. Elle soupira et revint vers la chaise ou elle s’était précédemment assise, donnant l’impression qu’elle allait restée. Mais elle ne fit que reprendre son sac et repartir.

« Ciao ! »

Elle sortit et claqua la porte derrière elle. Son attitude « Je m’en foutisme » était de retour et, d’après elle, ce n’était pas demain la veille qu’elle reviendrait dans ce bureau!